vendredi 23 septembre 2011

Des particules mesurées à une vitesse dépassant celle de la lumière

     Contredisant les théories formulées par Albert Einstein, des physiciens du CNRS ont mesuré des neutrinos, particules élémentaires de la matière, à une vitesse dépassant légèrement celle de la lumière, jusqu'alors considérée comme une 'limite infranchissable', ont-ils annoncé, jeudi 22 septembre.
S'il est confirmé par d'autres expériences, ce 'résultat étonnant' et 'totalement inattendu' par rapport aux théories formulées par Albert Einstein pourrait ouvrir de nouvelles 'perspectives théoriques complètement nouvelles', souligne le Centre national de la recherche scientifique, dans un communiqué.
D'après les mesures effectuées par les spécialistes de l'expérience internationale Opera, des neutrinos ont parcouru les 730 km séparant les installations du Centre européen de recherches nucléaires (CERN), à Genève, du laboratoire souterrain de Gran Sasso (Italie centrale) à une vitesse de 300 006 kilomètres/seconde, soit 6 km/s de plus que la vitesse de la lumière. 'Autrement dit, sur une 'course de fond' de 730km, les neutrinos franchissent la ligne d'arrivée avec 20 mètres d'avance' sur la lumière si elle avait parcouru la même distance à travers l'écorce terrestre, précise le CNRS.
     De longs mois de recherche et de vérifications ne nous ont pas permis d'identifier un effet instrumental expliquant le résultat de nos mesures', assure le porte-parole de l'expérience Opera, Antonio Ereditato, qui se dit 'impatient' de comparer ces résultats avec d'autres expériences. 'Compte tenu de l'énorme impact qu'un tel résultat pourrait donc avoir pour la physique, des mesures indépendantes s'avèrent nécessaires afin que l'effet observé puisse être réfuté ou bien formellement établi', souligne le CNRS.
Portrait d'Albert Einstein (1879-1955), en 1921.
  Portrait d'Albert Einstein (1879-1955), en 1921.AFP

       Ils ont attendu six mois avant de révéler leur secret à la communauté scientifique. Vendredi 23 septembre, Dario Autiero, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et membre de la collaboration Opera, devait en effet annoncer au Laboratoire européen pour la physique des particules (CERN), en Suisse, qu'après moult contrôles et calculs, lui et son équipe ont détecté des particules filant plus vite que la lumière. L'écart relatif, bien que faible, est significatif : quelque 0,002 % de plus. Un des piliers de la physique, le caractère indépassable de la vitesse de la lumière (près de 300 000 kilomètres par seconde), serait donc ébranlé.
    Nous avons beaucoup hésité à communiquer, mais nous ne pouvions pas accepter que la rumeur se répande. Et nous devons stimuler d'autres groupes pour qu'ils fassent eux-mêmes des tests et des contrôles", explique Stavros Katsanevas, directeur-adjoint de l'In2p3, l'institut du CNRS chargé de la physique des particules. Peu avant le séminaire du CERN, un article a été rendu public avant sa publication. "Après plusieurs mois d'études et de contrôles, nous n'avons pas trouvé d'effets liés aux instruments pour expliquer le résultat de cette mesure", complète Antonio Ereditato de l'université de Berne, porte-parole d'Opera, dans un communiqué du CERN.
Schéma du faisceau de neutrinos CNGS entre le CERN et Gran Sasso.
Schéma du faisceau de neutrinos CNGS entre le CERN et Gran Sasso.CNRS Photothèque / FADAY, Jean-Marc
Il n'était pas prévu que cette expérience internationale ébranle les fondements de la physique actuelle. Elle a en effet pour but d'étudier les propriétés des neutrinos, ces particules quasiment sans masse et qui interagissent très peu avec la matière. Le Soleil nous en envoie par milliards, mais ceux d'Opera sont faits au CERN. Puis ils sont envoyés quelque 730 kilomètres plus loin en Italie, au laboratoire souterrain du Gran Sasso. Inutile de percer un tunnel pour cela, car le voyage se fait à travers la Terre sans problème. Mais, sur cette longue route, les neutrinos changent de peau. Il en existe trois familles, au sein desquelles les transformistes sont admis. Les secrets de ce tour de magie permettent alors aux chercheurs d'avoir directement accès à des propriétés fondamentales de la matière. Opera espère voir à peine dix événements de ce type dans ses détecteurs.
ANOMALIE
En attendant, Dario Autiero a eu l'idée de vérifier le temps de parcours de ces créatures. Et c'est là qu'il est tombé sur cette anomalie. Il a mesuré la distance à 20 centimètres près, puis le temps à quelque 10 nanosecondes près. Malgré la prise en compte de la dérive des continents, du séisme de l'Aquila (qui a secoué le laboratoire du Gran Sasso) ou le recours à des horloges atomiques, les neutrinos arrivent bel et bien plus tôt que prévu ! "Sur une expérience semblable, Minos, des Américains avaient aussi détecté il y a quelques années une déviation, mais pas aussi significative. Dans le cas d'Opera, le hasard ne peut pas être à l'origine de l'écart de vitesse", précise Stavros Katsanevas.

Le chercheur Dario Autiero sur le site de Gran Sasso.
Le chercheur Dario Autiero sur le site de Gran Sasso.CNRS Photothèque/IPNL / ILLE, Bernard
Restent donc deux hypothèses : un biais dans la mesure non pris en compte ou un nouveau phénomène physique. Dans le premier cas, l'annonce se dégonflerait. Dans le second, ce serait au contraire une explosion. Les théoriciens ont en effet quelques idées pour dépasser la vitesse de la lumière. Cette propriété découle en fait de la structure continue de l'espace-temps et du postulat que partout les lois de la physique sont identiques. Or rien ne dit que notre espace-temps ne puisse être discontinu, fragmenté à toutes petites échelles. Si tel est le cas, tout devient possible ou presque: des particules peuvent dépasser la vitesse de la lumière.
"Bien entendu, il faut confirmer ou infirmer ce résultat. Mais peut-être que cela peut ouvrir nos yeux. Les chercheurs qui s'intéressent aux neutrinos et photons cosmiques peuvent aussi reprendre leurs calculs et voir s'ils ne trouvent pas de tels écarts. De leur côté, Minos et Opera ont déjà annoncé l'augmentation de la précision de leurs mesures temporelles afin d'éclaircir la situation", explique Stavros Katsanevas. Les neutrinos risquent donc de métamorphoser aussi la face de la physique.

Qu'est ce qu'un neutrino ?

Particule élémentaire de la matière, fantôme ou caméléon, le neutrino a beau être un milliard de fois plus présent dans l'univers que chacun des constituants des atomes, il reste incroyablement difficile à détecter. Le neutrino, qui intrigue les physiciens depuis les années 60, est en effet dépourvu de charge électrique, ce qui lui permet de jouer les passe-murailles.
Chaque seconde, 66 milliards de ces particules fantomatiques traversent l'équivalent d'un ongle humain. Et pourtant, un neutrino émis par le Soleil n'a qu'une chance sur cent millions de s'arrêter sur Terre...
Emis par les étoiles et l'atmosphère, les neutrinos peuvent aussi être créés par la radioactivité dite bêta, comme les centrales nucléaires. Lorsqu'un proton se transforme en neutron (électriquement neutre) ou un neutron en proton, cette mutation s'accompagne de l'émission d'un électron négatif ou positif et d'un neutrino (ou d'un "antineutrino").
Le comportement de ces particules insaisissables intéresse beaucoup les scientifiques car il permettrait notamment d'expliquer pourquoi le monde est majoritairement constitué de matière et non d'antimatière, alors que les deux devaient être présentes en quantité équivalente après le Big Bang.
L'observation des "oscillations" de neutrinos, qui se métamorphosent parfois en d'autres formes (ou "saveurs"), est aussi est un élément capital pour la physique.

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